mardi 31 août 2010

Alice ne veut pas continuer.



En revenant de Venise, je me suis précipitée chez ma voisine Alice, qui m'avait dit avant de partir, mais bien sûr Danielle, partez tranquille, je suis là, je ne bouge pas, je suis si heureuse de vous rendre ce service.

Amenez-moi toutes vos orchidées, votre bonsaï, j'en prendrai bien soin.

Alice a de nombreuses orchidées dans son appartement, elles sont magnifiques, je ne pouvais pas mieux trouver comme gardienne de fleurs.

J'ai frappé fort à sa porte, car Alice entend moins bien et la voilà toute pimpante, l'oeil bleu, le teint bronzé mais l'âme tourmentée.

Danielle, je suis bien embêtée, je ne sais pas ce qui s'est passé, mais le bonsaï... Inutile d'en dire plus, d'un seul coup d'oeil, j'avais compris l'étendu du désastre, mon bonsaï avait l'air d'un plumeau. Plus une feuille de vivante, mort des pieds à la tête, il était tout gris. Il avait un âge respectable, sauvé plusieurs fois du naufrage, un rescapé de l'oubli, j'y tenais, mais pas forcément comme à la prunelle de mes yeux.

En un tour de main j'en avais fait le deuil, de toute façon, rien ne pourrait le ranimer, il fallait faire vite avec les mots, pour ne pas affoler Alice. Pas grave Alice, ne vous en faites pas, ce sont des choses qui arrivent... Mais que lui est-il arrivé ? Ah ! bon, vous êtes partie 10 jours à l'Île d'Oléron, ah ! bon, votre fils est venu arroser... Il n'a pas pu faire renaître l'arbre, il l'a pourtant baigné, rien à faire !!! Petit à petit, Alice parlait de tout le reste.

Avec ses yeux bleus, sa petite voix, elle me disait qu'elle était peinée, pour une fois que je lui demandais quelque chose... C'est vraiment désolant, pas de chance, je suis si contrariée pour votre bonsaï...

Puis nous sommes passées aux orchidées, même lamentation, elles étaient vivantes mais avaient perdu toutes leurs fleurs, si belles, si nombreuses lors de mon départ, je ne sais pas pourquoi, regardez les miennes, elles sont encore toutes fleuries... Je ne comprends rien, elle se tordait les mains.

Je me suis dit qu'Alice ne devait pas avoir les pouces verts, et puis 10 jours d'absence, le fils... Je vais vite fait lui en retirer la garde...Tout en douceur. Pour le mois de septembre, je vais trouver une autre solution que ma petite voisine.

Et puis, je lui ai offert les savons et le petit bonbon en verre que je lui avais rapportés d'Italie, elle l'a tout de suite mis dans sa vitrine, remplie de verrerie animalière, des petites choses venues de partout où l'on souffle le verre, pour les touristes.


Elle a fini par le mettre sur un petit présentoir qui tournait quand on allumait l'électricité, il avait une bordure de mosaïque en miroir, comme les grosses boules qui tournent et qui scintillent sous la lumière dans certains bals de campagne, il faisait tourner des petits chiens, des chats, des oiseaux, et des poissons, le bonbon bleu et rose est entré dans la danse... Avec toute la ménagerie.


Puis nous avons parlé de ses 10 jours passés en virées, promenades en voiture et à pied, ses enfants, ses petits-enfants qui voulaient lui faire plaisir, l'avaient emmenée partout. Elle me montra sa jambe, qui était gonflée d'avoir tant fait. Nous prenions l'apéritif tous les jours, même deux fois par jour. Mais Alice, il fallait dire que c'était trop pour vous, oui c'est vrai c'était trop, mais j'aime ça moi, l'apéritif. Finalement je ne pouvais pas leur dire que j'aurais préféré rester chez moi, tranquille.


Et puis je me disais, à tant marcher, à tant me fatiguer, je vais bien finir par m'arrêter de vivre. je suis contente pour ça, je vais bien finir par m'user tout à fait.

Mais comment Alice, comment ça vous arrêter ? Je ne voulais plus l'écouter, je voulais lui dire, Alice assez, ne me dites pas que vous voulez mourir, je vous en prie ne le dites pas.


Mais je l'ai dit seulement avec les yeux, Alice a continué de parler, mais oui, j'ai 96 ans, même si tout le monde me dit que je ne les fais pas, je les ai, que voulez-vous que je fasse maintenant, je ne suis plus utile à personne, j'en ai assez de vivre, pourquoi faire ? Il faut que ça s'arrête, je voudrais bien m'endormir et ne plus me réveiller au matin.


Alors j'ai bien essayé de réveiller des désirs, d'être aimée de ses enfants, de ses amis, ça ne lui suffisait pas, si j'avais encore un mari, je serais utile à quelqu'un, mais maintenant, non vraiment, il faut que ça s'arrête, il faut que je parte.


Plus elle se disait qu'il fallait qu'elle ait une grande activité qui la fatiguerait assez pour la faire mourir, plus ça faisait le contraire... Elle restait vaillante.

Alors c'est comme ça ?


Un jour, on cesse d'avoir envie de vivre, on a envie que ça s'arrête, voilà, maintenant qu'on a joué son morceau, il faut ranger l'instrument dans sa boîte.

Alice me disait simplement qu'elle voulait mourir, comme elle vous dirait, il faut que j'aille chercher du pain, aussi naturellement que ça.


Je disais bien à Alice, taisez-vous, ne m'en dites pas d'avantage, vous voyez bien que c'est difficile pour moi d'entendre ça ? Je le disais avec les yeux, et elle a parlé encore.

Elle m'a dit qu'elle ne voulait plus continuer, vous voyez bien que j'ai raison, vous feriez comme moi à ma place ?


Je lui ai dit tout doucement, tout bas, que je la comprenais, et puis je suis partie en lui disant, Alice, prenez soin de vous, vous êtes utile encore à beaucoup de monde, j'ai vu ses yeux bleus pétiller...


Mais ça m'étonnerait qu'elle change d'avis, pour si peu ?

lundi 30 août 2010

Où en étions-nous ?

De retour de Venise... Juste avant de repartir à la campagne, pendant le mois de septembre... Où je ne suis pas certaine du tout de pouvoir continuer mon blog régulièrement... Je suis heureuse de vous retrouver et de vous glisser une petite histoire en attendant...


Tous en mode régime… Suite.

Je ne résiste pas au plaisir de vous donner des nouvelles du mode régime (voir mon post du 18 juillet), appliqué ce matin même, au marché aux Puces de Montreuil. Tout est vrai, archi vrai…

Un beau matin d’été, comme nous avions les mains enfouies dans les fripes, nous ne nous dévisagions pas, je tournais et retournais la montagne de vêtements à vendre pour quelques euros.

Il n’y avait que des dames autour du tas, les étoffes volaient, tournoyaient dans l’air du matin, les trous se creusaient ici et là dans la montagne. Comme des orpailleuses, nous cherchions les pièces rares, à notre taille, les paroles allaient bon train, tout le monde était de bonne humeur, il faisait beau, aucune raison de se plaindre.

J’avais plusieurs fois comparé les tailles en plaquant les vêtements les uns sur les autres, parfait, ça ira, juste le petit haut dont j’avais absolument besoin, et cette jupe ? Elle ferait bien l’affaire, mais j’en ai déjà plein l’armoire, une autre ? Est-ce vraiment raisonnable ? Non, c’est décidé, je la repose. Trop, c’est trop.

Ainsi va la morale de l’histoire, même en fouillant dans les vieux vêtements, il faut garder la tête froide, et alimenter le raisonnement, ne pas se laisser embarquer par l’esprit de consommation, il faut mesurer ses besoins. Mais là ? On peut même dire que nous sommes en plein recyclage, dans l’écologiquement correct, il est temps d’assouplir un peu ma philosophie. Je ne fais aucun mal au monde en donnant vie, pour la deuxième fois, à ces vêtements.

Á côté de moi, une dame farfouillait avec ardeur, elle essayait par-dessus ses vêtements, bien décidée à trouver la petite robe qui lui irait à ravir pour 3 euros seulement, c’est enthousiasmant.

La petite robe tardait à venir, ah ! La voici, toute belle, toute rouge, toute transparente, un amour, un nuage, et le beau temps qui n’en finissait pas, quel bel été.

Voilà notre dame, cheveux au vent, qui enfile le coquelicot en polyester, le haut allait très bien, même un peu large à la poitrine, mais à la taille, la fermeture éclair ne fermait plus, elle tirait dessus, cherchait de tous côtés quelqu’un qui lui viendrait en aide, cette fermeture éclair est coincée ? De l’aide elle en a eu, une charmante chineuse essaya ce tour de force.

Il est très difficile pour quiconque de dire à une charmante dame qui essaye une petite robe divine, dont la fermeture éclair semble coincée : excusez-moi madame, mais il manque au moins 5 bons cm, si je force, ça craque… Qui dirait ces méchantes paroles ? Vous ? Sûrement pas moi non plus, je regardais ailleurs, pour faire la gentille, je me lavais les mains dans les tissus.

La dame voyait bien qu’il y avait quelque chose de bizarre dans l’histoire, elle gardait la robe coquelicot sur elle, continuait à fouiller davantage dans tous ces beaux vêtements, espérant sans doute trouver la taille au dessus, mais la robe ne bougeait pas, impossible d’aller plus haut, elle ne fermait pas, elle avait beau rentrer le ventre, se contorsionner, rien à faire, il manquait du tissu.

Alors, elle se mit à parler : mais ce n’est pas possible, j’ai grossi, je ne me suis pas pesée depuis le début de l’été, qu’est-ce qui se passe ? Tout est trop petit, je ne peux rien mettre, c’est terrible. Tout en se lamentant elle essayait même de retirer la robe maudite, mais elle n’y arrivait pas, la voilà repartie dans un lamento… Et puis elle s’est adressée à moi, moi qui fuyais son regard, sa malédiction, surtout sa déception…Vous pensez que c’est dur maintenant de perdre du poids ? Alors moi, tranquille, je luis dis : Ben, ça dépend, vous avez quel âge ? Je fonçais dans le tas. Cinquante ans, me dit la dame !!

Bon, je n’allais pas la brancher sur tous les malheurs de la ménopause, peut-être même qu’elle ne savait pas que ça existait ? Je lui dis, très classe : c’est rien, il faut un peu de motivation, vous allez perdre ça très vite, mais il faut vous y mettre sans tarder, à cette période de la vie, ça devient un peu plus difficile.

La matinée bien commencée fut bien cruelle pour elle, inconfortable pour moi et très délicate pour celle qui s’était risquée à fermer la fermeture éclair, laquelle ne voulut rien savoir, elle bloqua inexorablement.

Vous voyez, aux Puces, on baigne dans un bain de culture permanent, la philosophie est indispensable pour aider sa prochaine, on cultive la compassion, la politesse, la solidarité, la cordialité, on peut même donner des conseils avec prudence…

La dame a fini par enlever la robe fleur des champs, personne ne voulait entendre la suite de l’histoire, tellement l’angoisse montait… Tout le monde veut faire du 38, alors comment réconforter la dame ?

La vie est rude, juste pour 5 bons centimètres on ferait le tour du monde à vélo…

Lundi je commence à pédaler.